Pratique marginale il y a quelques années, le soundpainting est aujourd’hui présent dans la plupart des territoires musicaux, utilisé par un nombre toujours croissant de musiciens, de collectifs et d’enseignants. De l’utilisation de techniques rudimentaires de direction d’un ensemble musical à partir de quelques gestes simples, jusqu’aux techniques très riches du soundpainting à proprement parler, cette approche de la musique collective a incontestablement un lien avec l’improvisation. Mais dans quelle mesure s’agit-il d’improvisation ?

Le site officiel du soundpainting en fait la présentation suivante :

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Le Soundpainting est un langage de direction d’orchestre et de composition (1) en temps réel, créé et développé par le compositeur new-yorkais Walter Thompson. Destiné aux musiciens, mais aussi aux danseurs, acteurs, poètes et plasticiens travaillant dans le domaine de l’improvisation (2) structurée (3), ce langage contient à présent plus de 750 signes qui permettent au chef d’orchestre-compositeur d’indiquer aux interprètes le type d’improvisation désiré.
Le déroulement de la composition est ainsi contrôlé (4) grâce aux paramètres définis par chaque groupe de signes, de gestes. Durant les 20 dernières années, le Soundpainting est devenu un langage complet permettant la réalisation spontanée (5) de créations faisant appel à l’improvisation structurée, qu’elles soient musicales, théâtrales, chorégraphiques, cinématographiques, voire pédagogiques.

(Version en anglais, sur le même site)

Soundpainting is the universal live composing sign language (6) created by New York composer Walter Thompson for musicians, dancers, actors, poets, and visual artists working in the medium of structured improvisation.

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source : http://soundpainting.com (2008-02)

Réflexions :

(1) un langage de direction d’orchestre et de composition :

L’improvisation comme pratique originelle de la musique, comme pratique musicale instinctive, méconnait tant le chef d’orchestre que le compositeur. Quand à l’improvisation dite « libre », elle est née du rejet explicite de la domination de ces deux figures sur l’histoire récente de la musique occidentale (ces quelques siècles avant le 20e). Elle réaffirme le pouvoir de chaque musicien de se diriger en toute liberté et de composer lui-même sa musique. On mesure donc l’importance du paradoxe fondateur d’une démarche associant direction, composition par un seul des participants, et improvisation.

(2) Destiné aux musiciens, mais aussi aux danseurs, acteurs, poètes et plasticiens travaillant dans le domaine de l’improvisation

Si ce langage est essentiellement destiné aux artistes improvisateurs, s’il nécessite de la part des participants des savoir-faire issus de l’improvisation, pour autant ceux-ci sont bien (comme précisé plus loin dans le texte) des « interprètes » quand ils jouent dans le cadre du soundpainting.

(3) l’improvisation structurée

Quelle improvisation ne serait pas structurée ? Quelle activité humaine, d’ailleurs ? Peut-être faudrait-il traduire par « dirigée », ou « idiomatique » (relevant d’un langage préexistant)… Plus que la possibilité de mettre en jeu les valeurs de l’improvisation non dirigée et non-idiomatique, il semble que l’intégration de l’improvisation dite libre au soundpainting semble plus relever d’une ouverture à un style, une esthétique. L’improvisation libre ne se réduit pourtant pas au « patois » qu’elle génère, pour intéressant qu’il soit.

(4) Le déroulement de la composition est ainsi contrôlé / (5) la réalisation spontanée de créations

On parle bien là d’un contrôle par une personne de l’action d’un groupe de musiciens… sensés par ailleurs réaliser une création de façon « spontanée ». On retrouve là une problématique typique des musiques d’interprétation, basées sur la hierarchisation et la spécialisation des rôles.

(6) the universal live composing sign language

Un langage constitué d’un répertoire de signe peut-il être universel ? Tout langage de ce type n’est universel… que pour ceux qui l’apprennent…

 

Fondamentalement, le soundpainting est donc un projet paradoxal, qui met en oeuvre des savoir-faire qui ne se cultivent que dans les pratiques libres (improvisation à proprement parler), mais dans un contexte dirigé (des interprètes et un chef d’orchestre compositeur en temps-réel). Les situations paradoxales peuvent bien sur être tout à fait fécondes, et les nombreuses expériences réussies et enthousiasmantes de sound-painting en sont la preuve.

Le danger qui guette cette pratique est justement cet enthousiasme qui, s’il reste naïf, peut facilement transformer une technique pleine de paradoxes (et donc de potentiel) en recette universelle. Réponse extraordinaire à la question de savoir comment faire jouer ensemble et sur le champs des musiciens qui ne partagent pas un répertoire comun, le soundpainting ne saurait répondre à des questions telles que « Comment improviser ? ». La réponse à une telle question est en effet à la fois beaucoup plus simple et infiniment plus compliquée : « en improvisant », bien entendu sans chef ni signes visuels.